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La Première

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Les coulisses du pouvoir

Les tracteurs ont remplacé les jeunes pour le climat

5 min

| Publié le 01/02/24

À qui profite politiquement la mobilisation des agriculteurs ? Tous les partis tentent de répondre à la colère. Mais côté francophone, rien n’est simple. Aucune alternative solide n’apparaît. Retournement de l’opinion Cette mobilisation des agriculteurs est, on le sait, partie de la base. Les revendications sont diverses et parfois confuses. Les principaux syndicats sont dépassés et ne savent pas vraiment comment faire atterrir ce mouvement, ni toujours comment lui donner un sens politique. Et c’est vrai aussi pour les partis. Puisque ce mouvement est largement importé d’autres pays d’Europe, il faut sans doute aller chercher la réponse aux Pays-Bas, en Allemagne ou en France. Plus que des questions de prix, de normes ou de marché c’est aussi une bataille culturelle. Dans ces trois pays, la mobilisation a été un révélateur des inquiétudes croissantes suscitées par les mesures de lutte contre le réchauffement climatique. En Allemagne, le journal Le Monde parle d’un retournement de l’opinion. Le journal rappelait qu’il y a deux ans, l’institut Kantar avait demandé à un échantillon représentatif de la population allemande : "Soutenez-vous le mouvement sociétal en faveur de la protection de l’environnement et de la lutte contre le changement climatique ?" À l’époque, 68% des personnes interrogées avaient répondu oui. Deux ans plus tard, en mai 2023, seuls 34% des sondés ont répondu oui. Tracteurs ou jeunes pour le climat Chez nous, ce retournement n’est pas mesuré, mais on peut se dire qu’un tel phénomène existe aussi chez nous sans qu’on en connaisse l’ampleur. Souvenez-vous, il y a 5 ans, les rues étaient occupées par les jeunes pour le climat, qui avaient fait peser sur la campagne l’idée qu’il y avait urgence à accélérer la transition. Dans les rues, les tracteurs ont remplacé les jeunes pour le climat et le message principal c’est qu’il y a urgence à freiner la transition. Un retournement majeur. La Commission l’a compris et vient d’annoncer le gel d’une des mesures du Green Deal sur les jachères. Même si le message de beaucoup d’agriculteurs est plus nuancé, si beaucoup se disent conscients des enjeux climatiques et demandent à être protégés des marchés trop libéralisés, il n’en reste pas moins vrai que ce mouvement vient renforcer la montée en puissance du clivage entre conservateurs et écologistes, un clivage qui épouse tant bien que mal ceux plus anciens rural-urbain et peuple-élite. Un triple clivage qu’essaie de concilier en France, en Allemagne et aux Pays-Bas l’extrême droite. C’est aussi ce que tente de faire le Vlaams Belang en Flandre. Les partis wallons en jachère Côté francophone, pas d’extrême droite. Comment peut donc tourner le vent ? Le MR et ECOLO se positionnent déjà très fortement sur ce clivage avec de plus en plus de conflictualité. Le MR en particulier défend une transition par la technologie présentée comme non contraignante, il pourrait renforcer son récit. Mais ce qu’il pourrait récupérer du mouvement des agriculteurs est freiné par sa présence au pouvoir. Depuis plus de 20 ans, les ministres de l’Agriculture au fédéral sont des libéraux, ce qui freine leur capacité d’apparaître comme une alternative, donc plus qu’autre chose, le MR semble subir cette crise. Chez Ecolo, on semble subir aussi, mais beaucoup se disent que ce conflit qui monte autour de la transition leur permet d’exister sur leurs fondamentaux, de resserrer les rangs de ceux qui veulent accélérer contre ceux qui veulent freiner la transition. La question est : faut-il durcir la campagne, oser le conflit pour un parti qui, il y a 5 ans, avait basé toute sa campagne sur le parti des solutions. L’autre parti qui pourrait tirer profit de ce clivage, ce sont Les Engagés. Dans l’opposition, l’ex parti social-chrétien garde des liens forts avec le monde agricole et pourrait apparaître comme une alternative. Mais il a récemment revu sa doctrine, placé la transition comme objectif numéro un. Le parti prévoit par exemple de bannir les pesticides en 2040. Il ne prétend pas assumer le clivage entre conservateur et écologiste mais le dépasser, ce qui complexifie leur message. Enfin, PS et PTB sont en deuxième ligne sur ces thèmes, ils dénoncent bien les limites du libre-échange mais peinent à exister. En l’absence d’extrême droite, c’est donc bien à une lutte des récits qu’on assiste entre le MR, Les Engagés et Écolo, sans qu’on sache encore de quel côté cette pièce (des agriculteurs) va tomber. Mais une chose est certaine à ce stade, dans les rues, les tracteurs ont remplacé les jeunes pour le climat. Et cela va peser sur la campagne.