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Culture

L’Irak, de Louis-Cyprien Rials, à la BIP - Liège.

L'image possible et mutante dans un triple projet du plasticien français

8 min

| Publié le 20/04/24

La "Biennale de l’Image Possible" se déploie à Liège depuis le 16 mars et jusqu’au 1er juin. Elle a forgé le mot "MUTANTX" qu’elle donne comme intitulé de cette 13e édition. Elle aborde les mutations de l’image en résonance avec les transformations du monde et de la société dues au dérèglement climatique et à l’instabilité géopolitique. Les changements opèrent également dans la sphère privée avec notamment les questions du genre et des identités fluides. Une image possible est une image mutante à décoder qui ne se laisse pas lire au premier regard. L’exposition phare qui prend place dans l’ancienne "Bibliothèque des Chiroux" présente les métamorphoses de l’image suscitées par la pensée des artistes. / Louis-Cyprien Rials est un artiste français né à Paris en 1981 qui vit aujourd’hui en Irak. Son travail illustre le pouvoir de réflexion que suscite une image mutante. Elle ne s’appréhende pas immédiatement. Elle apparaît comme un leurre qui cache une réalité autre. Trois projets distincts sont réunis dans un même espace. / Dans un premier projet intitulé "Fondation", Louis-Cyprien Rials emprunte des photos numériques prises pendant la guerre en Irak par des soldats américains présents dans le pays entre 2003 et 2011. Elles illustrent le quotidien de la vie militaire en mêlant des scènes banales à des vues de lieux touristiques. Les images disponibles sur un serveur de l’armée américaine auraient pu disparaître. L’artiste leur assure une pérennité et il leur donne une matérialité par la transformation des images en diapositives. Louis-Cyprien Rials se situe ainsi à contre-courant de la dématérialisation de l’image. Un double diaporama fait apparaître les images sans possibilité de zapping. Une narration est induite par la succession des diapos. En temps d’occupation militaire, la banalisation des images distille une violence à peine retenue. Le spectateur peut s’asseoir sur des tapis de guerre afghans apparus au moment de l’invasion soviétique. Les chars et les avions, les kalachnikovs et les grenades remplacent les motifs traditionnels. / Fondation et Fondation. L’Irak, un des berceaux de la civilisation, a inventé l’écriture et a "fondé" les premières cités-états. Le pays a subi les influences antagonistes occidentales pendant la guerre froide. Il a connu des guerres meurtrières et des affrontements entre communautés. L’invasion de la coalition menée par les Etats-Unis en 2003 a "fondé" un « nouvel ordre mondial », profondément injuste, basé sur le mensonge et la prédation, dixit Louis-Cyprien Rials. Gorge W. Bush, le président américain, légitima l’intervention en certifiant à faux détenir des preuves que l’Irak possédait des armes de destruction massive./ Le deuxième projet est titré par le mot "Tasawuriy" qui veut dire qui n’existe pas. Louis-Cyprien Rials crée un pays imaginaire documenté par des images produites par intelligence artificielle et imprimées en polaroïds. La "République arabe de Tasawuriy" a pour capitale "Mutakayya"l qui signifie pour de faux. Le Tasawuriy est un pays arabe au destin tragique. Les guerres et les dissensions se succèdent, les droits de la femme ne sont pas respectés, la pollution est catastrophique... L’artiste édifie un territoire fictionnel afin de mieux aborder les problématiques d’un pays inscrit dans le réel. L’image est une fois encore en mutation. Créée par une intelligence artificielle, elle prend l’apparence tangible d’un polaroïd qui est considérée comme l’édition unique d’une image instantanée. Nul ne met en doute la véracité d’une image polaroïd. La fiction paraît réelle. L’existence pour de vrai de Tasawuriy semble avérée. Allégorie ! / Enfin, "Babel", le troisième projet, rassemble des images de la ziggourat de Borsippa située à vingt kilomètres au sud-ouest de Babylone. Elle fut considérée erronément comme la véritable "Tour de Babel". Le monument biblique dont le sommet touchait le ciel avait été construit par des bâtisseurs orgueilleux dont le savoir s’est perdu par la multiplicité des langues dans l’incompréhension universelle. La science évolue. L’archéologie en est une. La recherche se poursuit sans figer la connaissance. L’erreur est dite humaine. Les chercheurs s’accordent aujourd’hui. La Tour de Babel est située à Babylone. Le désir d’égaler Dieu se traduit à présent par le transhumanisme et le recours à l’intelligence artificielle. A méditer ! Louis-Cyprien Rials au micro de Pascal Goffaux.