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Culture

James Ensor, Rose, Rose, Rose à mes yeux, au Mu.ZEE interview

La nature morte en Belgique de 1830 à 1930

8 min

| Publié le 25/03/24

Mu.ZEE, Musée d’Art moderne, à Ostende, présente jusqu’au 14 avril "Rose, Rose, Rose à mes yeux - James Ensor et la nature morte en Belgique de 1830 à 1930". L’exposition retrace la fabuleuse trajectoire de James Ensor à travers la nature morte. Le genre représente en nombre entre un quart et un tiers de sa production. Une cinquantaine d’oeuvres du peintre ostendais sont installées aux côtés d’une nonantaine de tableaux de ses prédécesseurs et de ses contemporains illustrant l’approche de la nature morte en Belgique entre 1830 et 1930. Rose, Rose, Rose … traduit les multiples acceptions d’un sujet. Rose est une fleur, une couleur, une note olfactive et un prénom de femme. La rose des vents indique les points cardinaux et les orientations intermédiaires qui ouvrent autant de directions possibles. L’exposition explore tous azimuts les variations du genre. La nature morte est bien mal nommée dans notre langue. L’anglais emploie le terme "still life" et le néerlandais celui de "stilleven" ; ces mots mettent l’accent sur la vie silencieuse et, de manière allégorique, induisent l’idée de la fragilité de la vie ou de la vacuité des activités humaines. Le vocable "Vanité" désigne alors un sous-genre de la nature morte qui rappelle notre condition de mortels. Au dix-neuvième siècle, la nature morte est dépréciée et moquée par le bouillonnant Antoine Wiertz, car le sujet et la facture sacrifient le plus souvent à la tradition et à l’académisme. La nature morte représente, à la lettre, des choses et des êtres inanimés, sans âme. Les éléments sont placés de manière précise par un peintre metteur en scène qui dispose de l’espace de la toile comme d’un plateau de théâtre. Ce type de nature morte décore les salons bourgeois. Plusieurs peintres cherchent à renouveler le genre sans toutefois l’affranchir d’un héritage du passé, tels Jean Robie et Hubert Bellis. Des femmes peintres oubliées, talentueuses, ont pour nom Berthe Art et Louise De Hem, entre autres. Anna Boch partage également les cimaises. Les artistes modernes Leon Spilliaert, Gustave Van de Woestyne, Frits Van den Berghe, Marthe Donas, Jean Brusselmans et René Magritte clôturent le parcours historique. James Ensor parmi les artistes de son temps rompt avec la tradition décorative et expérimente la nature morte en pionnier de la modernité. La première oeuvre réalisée en 1876, à l’âge de seize ans, est un préambule visionnaire. "Le Porte-manteau" constitué de deux aplats de couleur est une composition pré-abstraite, anachronique, qui échappe à toute idée d’évolution ou de progrès artistique. Elle anticipe les avant-gardes. Outre cette parenthèse, les premières productions, au début des années 1880, se libèrent de la tradition bourgeoise uniquement par le traitement de la touche qui décompose les formes. Ces œuvres annoncent les natures mortes tourmentées de la décennie suivante. Les apparitions éthérées et oniriques de la dernière période célèbrent la lumière et la couleur qui transcendent la représentation qui devient plus colorée et plus diaphane. L’évolution se marque paradoxalement par l’introduction de la vie dans la nature morte, dès les années 1890. "Roses", peint en 1892, représente un bouquet de fleurs épanouies, mais quelques marguerites rayonnent dans le coin supérieur droit du tableau. Elles saluent de leur vif éclat leurs congénères qui sont à l’aube du flétrissement. En 1893, Ensor peint """Pierrot et squelette en jaune". Le masque n’est pas un simple objet inerte. Pierrot est un personnage expressif en conversation muette avec un crâne. D’autres masques ou personnages grimaçants assistent à la scène, occupant les bords du tableau ou sortis des coulisses de ce plateau macabre. Ensor illustre à la fois le symbolisme et l’expressionnisme. Il recourt au symbolisme afin de raconter des histoires qui alimentent son théâtre d’objets. Ainsi la mascarade s’anime. La raie fait la grimace, les yeux grands ouverts, car, mort ou vif, le poisson ne ferme jamais les yeux. Le coquillage qui est le squelette d’un mollusque est aussi un symbole d’Aphrodite. Le bivalve par ses formes suggestives évoque la sexualité et la sensualité féminine. Eros et Thanatos font de cette manière un pas de deux. Ils exécutent une dance macabre au rythme des attouchements du pinceau. La touche expressive de James Ensor déforme les figures ou confère aux objets des formes accidentées. Elle aventure la peinture vers des plages inconnues. Sabine Taevernier, curatrice invitée, au micro de Pascal Goffaux.