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Culture

Auguste Rodin, Une Renaissance moderne, à Mons

Un géant traverse l'histoire.

9 min

| Publié le 14/04/24

La ville de Mons présente jusqu'au 18 août une exposition dédiée à Rodin à l’occasion de la réouverture du Musée des Beaux-Arts. Le musée, la collégiale Sainte-Waudru et le Jardin du Mayeur présentent des œuvres prestigieuses d’un sculpteur qui fut aussi un remarquable dessinateur. Le musée rassemble près de deux cents œuvres : des plâtres, des marbres, des bronzes, des dessins, des aquarelles et des gravures. L’exposition bénéficie de prêts de grands musées européens : le Louvre, le Musée d’Orsay, Le Petit Palais, le Musée des Arts décoratifs et le Musée Rodin à Paris et le Victoria and Albert Museum à Londres et les Musées royaux à Bruxelles. / "Une Renaissance moderne" pointe l’importance de la Renaissance dans la formation de Rodin. Le sculpteur séjourne en Belgique pendant six ans à partir de 1871. Il découvre les maîtres de la Renaissance flamande. Il réalise une étude de mémoire d’après "Le Coup de lance" de Rubens (aujourd’hui attribué à Anthony Van Dyck). Il étudie les planches anatomiques d’André Vésale. Les corps disséqués ou démembrés inspireront le travail de Rodin. Il fait son Grand Tour en Italie, en 1876. Michel-Ange lui "laisse un peu de ses secrets". / Le fil conducteur de l’exposition est le traitement du corps par Rodin tout au long de sa carrière. En Belgique, il collabore avec le sculpteur français Carrier-Belleuse jusqu’en 1872. A Bruxelles, il réalise, entre autres, des Cariatides et des Atlantes qui ornent le boulevard Anspach. Il travaille au décor de la Bourse de Commerce. Il façonne des putti. Les chérubins aux formes potelées se rencontrent dans "Idylle d’Ixelles", leur mouvement aérien gravé dans le marbre, en 1884. / "L’Âge d’Airain" (1876) est la première grande figure réalisée par Rodin. Le corps condense le regard que le sculpteur a porté sur les productions de la Renaissance italienne. Les formes élégantes rapprochent l’œuvre des réalisations de Donatello. La priorité est donnée au corps. Le sujet de la sculpture importe peu à l’instar du titre. Le corps est traité indépendamment d’un thème, même si des commandes comme "La Porte de l’enfer" et "Les Bourgeois de Calais" sont des œuvres porteuses d’histoires. La nudité permet aussi d’échapper à l’anecdote ou d’universaliser le propos. "Le Penseur" représente Dante Alighieri, l’auteur de la "Divine Comédie" dont l’Enfer est la première partie, mais le personnage figuré dans sa nudité incarne la Poésie en soi ; "Les Fleurs du mal" de Charles Baudelaire étant d’ailleurs une autre source d’inspiration. / La technique. Rodin s’est constitué un stock de moules. Il les utilise afin de reproduire des parties de corps qu’il assemble ensuite dans des figures singulières. Les sculptures constituées à partir de ces éléments ont parfois connu une existence autonome avant d’être intégrées dans "La Porte de l’Enfer". L’approche annonce les techniques de nos contemporains. Le fragment constitue un élément dans la création d’une figure ; la reprise, une possibilité de varier la forme. La forme accidentée apparaît dès l’entame de la carrière de Rodin avec "L’Homme au nez cassé". "La Martyre" dont le corps s’abandonne, alangui, convoque la figure d’un écorché. Les œuvres démembrées renouent avec la sculpture antique fragmentaire. Une œuvre ultime, la "Grosse Femme accroupie à masque d’Iris" (vers 1910) expose même une incision. Le regard pénètre dans la fente de la sculpture qui révèle un vide. L’œuvre traduit le geste d’un artiste libéré. / L’œuvre de Rodin dialogue au musée avec les sculptures de Berlinde De Bruyckere. L’artiste née à Gand en 1964 sculpte des corps démembrés ou des fragments de corps. La cire translucide mélangée à des pigments évoque la peau et les veines. Une sensualité s’exprime dans le relâchement de la chair qui s’abandonne sur un drap. Une couverture ou une peau animale enveloppe le corps de l’ange. L’élément est consolateur, compagnon de la douleur ou de l’apaisement. / Dans la collégiale Sainte-Waudru, les œuvres d’Auguste Rodin et de Berlinde De Bruyckere sont exposées auprès des sculptures de Jacques Du Broeucq, un enfant du pays. Il fut un des artistes importants de la haute Renaissance dans les Pays-Bas méridionaux. Les œuvres ne se parlent pas entre elles, mais un profond silence s’installe entre Rodin et De Bruyckere qui a placé trois grands Arcangeli (Archanges) dans le déambulatoire. / Troisième lieu d’intervention, le Jardin du Mayeur accueille une œuvre monumentale de Rodin, "Les Bourgeois de Calais". Elle est une des douze éditions originales du groupe statuaire. Le Domaine de Mariemont abrite l'une des quatre premières fontes réalisées du vivant de Rodin. L’œuvre d’une valeur patrimoniale inestimable a été exceptionnellement déplacée. Le monument symbolise un acte d’héroïsme posé en 1347 au début de la Guerre de Cent Ans. Six bourgeois de Calais se livrent aux occupants anglais afin de sauver la vie de leurs concitoyens. Antoinette Le Normand-Romain, conservateur général du patrimoine honoraire, spécialiste de Rodin, au micro de Pascal Goffaux.