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Charlie Dupont - Manneken Peace

22 mars ensemble

6 min

| Publié le 22/03/17

Françaises, français, belges, belges, barbares, barbares, Je suis belge et aucun 22 mars ne m’empêchera de l’être. Je suis de ce pays où d’irréductibles Gaulois résistent encore et toujours à l’envahisseur. Un pays si petit que le nord et le sud sont au même endroit. Mon pays n’a pas de superficie, c’est un état d’esprit. Et son symbole est un gamin qui pisse. Un « manneken » qui aurait sauvé Bruxelles en urinant sur la mèche d’une bombe. Tous ceux qui l’ont vu de leurs yeux vous le diront : « il est encore plus petit que ce qu’on imagine »… et sa grandeur est là. La Belgique c’est le monde entier en miniature. Le Gimini Cricket d’un Pinocchio mondialisé. Il en faut peu pour lui faire mal. Mais on se souvient de son cri. La Belgique meurtrie du 22 mars, c’est un enfant qui pleure. Et le monde entier pleure avec lui. Mais Manneken en a vu d’autres : il a pissé sur les nazis, chanté et déchanté l’Europe, il survit même sans gouvernements, il est wallon, il est flamand. Il chante Arno, Johnny et Marvin Gaye. Dans les yeux de sa mère, il y a toujours une lumière : celle de Magritte, Spilliaert, Jan Fabre, des Frères Dardenne, de Felix Van Groeningen ou de Jaco Van Dormael. Que les dieux fassent bien gaffe, en Belgique le ciel est bas, à hauteur d’homme. Il n’est pas bleu. Mais son gris est électrique. Dans le cinéma français, on dit qu’un film sans acteur belge, ça porte malheur. Il paraît qu’on trimbale une « simplicité », une fragilité assumée, dont les frenchies raffolent. Mais c’est celle de tout le pays ! Mon pays ne fait pas semblant d’être grand, il n’a pas besoin d’être grand : il est beau … d’une beauté fragile qui lui sauve la vie. Le Belge sait qu’il n’est rien, c’est sa longueur d’avance aux championnats du monde : il fait l’économie de l’arrogance. Alors quand frappe l’absurdité morbide, le petit pays fait front, comme un géant de cristal, digne et humble, il laisse place au silence. Et puis sa petite vie reprend. Nous sommes forts parce que nous savons que nous sommes faibles. On ne fait pas la guerre, on est au-dessus de ça. Comme le monde entier. Barbares, nous pissons sur vos bombes, comme d’autres crachent sur vos tombes. Nous acceptons avec courage, avec douleur, notre funeste sort, pas sans en condamner l’auteur, mais pour rebondir et ne pas vous laisser croire que ce sort reste entre vos mains sales. Nous pardonnons pour surmonter l’impardonnable. Parce que la haine crée un chaos que le pardon doit dissoudre. Les rancoeurs qui créent vos guerres se nourrissent du passé. Mais présent veut dire «cadeau» et c’est en lui que poussent les racines du futur. Alors il faut «pardonner», non pas pour excuser la barbarie, mais pour libérer la victime. Pour avancer encore. Il est là notre « art de la guerre » : brandir l’étendard de nos fragilités pour sortir vainqueur d’un combat d’arrière-garde. Parce que l’état islamique n’est ni état ni islamique, et retournera tout seul dans les tiroirs maudits de l’histoire pendant que nous en écrirons la suite. A la lumière de nos larmes. La haine a besoin de force. La justice n’a besoin que d’elle-même. La bête immonde et le noble loup blanc sont des jumeaux qui vivent à l’intérieur de nous tous. Celui qui gagne à la fin, dit le chef Cherokee (d’origine belge), c’est celui que tu nourris le plus. En attendant la paix, il faut croire encore à l’alchimie des faibles qui transforme la merde en or. J’ai la conviction qu’en Belgique comme dans le monde entier, la parole des justes s’échangera toujours plus vite que les ceintures d’explosifs. Comme le juif, le Belge, sera toujours ultra minoritaire, David face aux Goliaths... Mais ses paroles, ses cris, ses larmes, quand elles sont justes, finissent par être entendus. En marchant sur la plage, nos enfants citeront Jacques Brel et Woody Allen pas Donald Trump ni al-Baghbadi. À Knokke le Zoute, la mer est grise comme une crevette, mais aussi grande que l’horizon. Tout le monde a été cet enfant qui regarde la mer. Tu peux tuer un enfant, mais tu n’effaceras pas l’horizon. Aujourd’hui mon pays est debout. Et quand la Belgique se relève, c’est le monde entier qui ré-apprend à marcher. Parce que la solidité d’une chaîne est celle de son maillon le plus faible. Ennemi de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, ce que tu as lu de moi n’est pas le pardon d’un lâche mais la volonté d’un peuple fier. Don’t play with me, cause you play with fire (les Rolling Stones, encore un groupe belge !) 2000 ans après César et un an après le 22 mars : « de tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves. » Manneken de tous pays, unissez-vous.